
Extension du domaine de la Butte
En économie, comme en sociologie, on utilise le concept de « free-rider » ou de « passager clandestin » en français pour décrire quelqu’un qui ne participe pas à une action collective (grève, manifestation, sitting…) pour ne pas en supporter les coûts (temps passé à défiler, perte de salaire, prise de risque…) mais qui bénéficiera tout de même des avantages (hausse de salaire, amélioration des conditions de travail).
Je crois qu’au fond en matière de supportérisme, j’ai toujours été un free-rider. Comme beaucoup, je n’imagine pas un stade de foot sans son ambiance si particulière. D’ailleurs, j’ai envie de me tirer une balle à chaque fois que je me retrouve dans les atmosphères « familiales » des autres sports collectifs. Pourtant, même si j’ai chanté aux côtés des Carmarga Unitat en tribune Corbières, puis avec les Ultras d’Étang de Thau, je n’ai jamais dépassé le stade de sympathisants très éloigné. Aucune participation aux activités du groupe, à l’organisation des tifos ou des déplacements, je viens, je chante, je me barre. Je profite du boulot des ultras sans vraiment avoir à porter les « coûts« .
C’est en lisant le communiqué de fin de l’Armata Ultras que la réalité m’a sauté aux yeux. « Force est de constater que cette mentalité n’a pas su perdurer« , « entrevoir le dernier espoir d’une relève qui ne viendra jamais« . Nos ultras décrivent l’impossibilité d’un passage de flambeau. Et pour cause, entre 2002 et le 2023, le « football a changé » comme dirait Mbappé mais le supportérisme aussi. L’attachement au territoire, au club de sa ville de naissance est de moins en moins central dans le rapport au football. En plus des suceurs de Marseillais qui ont toujours existé, on a vu émerger des fans de City ou de Chelsea nés à Gigean. Il faut aussi faire face à la perte de vitesse de l’intérêt du football en général chez les plus jeunes. Trop long, trop chiant, trop cher et concurrencé par l’e-sport ou les réseaux sociaux. Une étude publiée en 2021 montrait que la “génération Z” (née entre 1996 et 2012) consomme deux fois moins de sport sur le petit écran que les Millenials (1981-1996). À plus large échelle, les enjeux de participation touchent plus globalement tout le monde associatif. Il suffit d’échanger avec les dirigeants d’associations pour se rendre compte de leurs difficultés à mobiliser leurs membres pour participer aux tâches qui permettent la survie du collectif. Le bureau d’étude du Compas montrait à ce titre en 2019 que les français adhéraient de moins en moins aux associations.
Avec l’arrêt de l’Armata, on peut imaginer que la Butte prendra une place encore plus centrale dans la tribune Étang de Thau et que, l’ambiance sera bien évidemment toujours là. Mais jusqu’à quand ? S’il n’y a pas de renouvellement ou qu’il est insuffisant du fait des changements sociétaux précédemment décrits, la marmite du diable risque de se refroidir peu à peu. Alors à mon sens, la fin de l’Armata (qui suit de peu celle des Camarga, preuve de la difficulté de faire perdurer un groupe) doit sonner comme un appel à chacun, à faire un peu plus si on est attaché à un stade vivant.
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